Ma
fille de treize ans, au visage adorable, m'étreint subitement avec
joie. Je suis aussi heureuse de sa joie et prête à manifester
totalement cet amour plein de couleurs qui nous emporte, car sous deux
couches de peau coule le même sang. Je la serre contre moi afin de
savourer cet amour filial qui s’offre à moi seule. Ce bonheur si
furtif dans le temps, léger et ne dure que quelques instants, m'attire
et m'enivre sans s'arrêter. Le fondement de l'amour est une sorte de
sentiment sacré qui possède une attirance invisible et irrésistible. Ce
bonheur est en train de s'envoler, silencieux dans l'écho qui vient du
fond du coeur.
Il
ne reste plus que deux semaines avant mon départ pour une destination
lointaine. Alors, ma fille adorée! Qu'est-ce que tu aimes?...Voici de l'argent,
achète ce dont tu as besoin. La petite secoue la tête, ou bien nous
allons goûter un repas français? Elle rehausse ses épaules. Je t'achète
alors un très joli corsage. Erreur totale, elle refuse encore du bout
des lèvres. Alors, allons à Disneyland. Elle acquiesce de la tête. Nous
voilà parties pour Disneyland. Depuis qu’elle y est entrée, elle ne
réclame que des jeux très vigoureux réservés aux hommes, aux garçons,
qui me font arrêter le battement de mon coeur, étourdie, groggy...
Il
ne reste plus que cinq minutes avant le lever du rideau de la scène
ouverte plein ciel, avant que ne commence le spectacle musical
...Après, il y a une procession de chars fleuris, une douzaine au
total. La petite boude assise, grommelle, ne veut absolument pas voir
le spectacle et les chars fleuris. Elle dit qu'elle n'est plus une
petite fille pour voir Blanche Neige et les sept nains. Elle réclame
avec obstination le train à grande vitesse. Oh la la… ! Ce genre de
train qui coupe le vent, rien qu'à le voir me fait frissonner, alors
que si...Si tu veux, tu peux y aller seule. La petite n'est pas
d'accord, elle réclame la participation de sa mère. La mère, comme
électrocutée, secoue la tête négativement; la petite reste assise,
triste. Qu'est-ce que c'est que ce genre de fille qui aime les jeux
"violents". Voyant sa fille triste, son coeur se serre, elle pense : il
faut bien essayer de connaître cette sensation nouvelle, afin de savoir
pourquoi ces petits en sont si friands ! Si les petits peuvent la
supporter, alors les grands que nous sommes le peuvent aussi, il faut
bien essayer une fois pour le savoir..
La
mère et la fille font alors la queue. Devant se tiennent tous des
jeunes gens, des hommes. En se retournant, ce sont aussi des hommes,
des jeunes gens et quelques garnements, mi garçons, mi filles, et moi
la seule femme asiatique...la plus âgée du groupe.
La petite et moi avons pris ensemble un banc, mis les ceintures de
sécurité. Le wagon avance lentement, puis entre dans une grotte noire
sans lumière. Le boa
Un,
deux, trois...le wagon descend la pente avec une vitesse terrifiante, à
me faire perdre mes esprits dans les cris bruyants. Ma tête tombe en
avant, à la renverse, mon corps est secoué en avant, en arrière, penche
à droite, tombe à gauche. Chaque écart de côté semble me propulser dans
l'espace, chaque fois qu'il penche d'un côté, je me redresse de l'autre côté.
Le
tunnel est tout noir, mais je ferme cependant les yeux ; ma bouche
pousse des cris perçants. Dix minutes plus tard, la voiture s'arrête,
Dieu merci, ces véritables dix minutes, qui semblent une éternité. Je
reprends mes esprits. La lumière revient...J'ouvre les yeux. Soudain,
une tête de mort terrifiante, pleine de sang, tombe dont on ne sait
d'où. La bande hurle de terreur, mes esprits me quittent. A peine
sortis de l'enfer, nous tombons sur Diêm Vuong (le roi de l'enfer), la
peur nous poursuit. De nouveau la lumière s'éteint, le train continue à
plonger dans l'abîme avec une vitesse plus grande qu'auparavant, les
cris reviennent, les hurlements de terreur emplissent un coin de ciel.
Ma tête penche d'un côté, puis de l'autre, tombe à la renverse, vers
l'avant, en avant, en arrière, les aliments semblent vouloir sortir de
mon ventre, m'étouffent parfois. Etourdie, remplie de peur, ayant
l'impression de tomber par terre à chaque tournant, j'aspire à ce que
ce jeu se termine, mais le temps semble s'allonger. La pauvre petite
assise à côté de moi, me voyant pâle de peur, hors d'esprit, serre ma
main pour me rassurer. Je la rassure aussi. La petite...immobile, on ne
l'entend pas crier du tout, d'un calme absolu, ou s'inquiète-t-elle
pour moi? Elle s'enquiert constamment de sa mère, à la fin, elle ne
profite pas totalement du jeu. Comme je l'aime ma fille.
En
sortant du train, je chancelle debout, le visage livide, inerte, pâle.
Le cou engourdi d'un côté, je n'arrive pas à me tourner, d'un côté ou
de l'autre ( à cause des résistances de tout à l'heure). Autour de moi,
des rires pleinement satisfaits, rassasiés, apparaissent sur des
visages réjouis, pleins de vie de la bande des jeunes, à peine sortis
d'un rêve attrayant et sain. Mais, quant à moi, je viens de traverser
un cauchemar atroce et terrifiant. Voyant que je n'ai pas encore
recouvré mes esprits, ma fille fronce ses fins sourcils, me regarde
tranquillement. Je vois soudain, à travers le regard clair de ma fille,
sous son front puéril, quelque chose d'anormal, teinté de remords,
mélangé d'amour et d'admiration, de respect à travers un point central
: l'amour maternel. Ma fille a compris. Qui d'autre que la mère peut
lui donner cela, et je l’aurai jamais su, s'il n'y avait pas eu ce jeu
aujourd'hui. Comment aurais-je su, qu'une fillette de treize ans
pouvait comprendre ce qu'est le coeur d'une mère ! Je continue
indéfiniment ma réflexion...
Sur le chemin de retour en voiture, la petite assise sur la banquette arrière, s’applique
énergiquement à masser les nerfs de mon cou, afin de faciliter la
circulation sanguine, et cela, tout au long du retour. Mon cou arrive
petit à petit à se
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